Une étudiante reconnue coupable de harcèlement criminel envers une chargée de cours s’est vue admise à nouveau à l’université après avoir terminé sa période de probation ordonnée par le tribunal.
Sentence arbitrale rendue le 4 juin 2024
Syndicat des chargées et chargés de cours de l'Université de Sherbrooke et Université de Sherbrooke (Isabelle Sirois-Dumont), 2024 QCTA 248
Chargée de cours – Étudiante – Harcèlement – Droit du travail – Réadmission – Grief – Syndicat – Milieu de travail – Université – Emploi
Faits
Une chargée de cours qui prodiguait son enseignement au sein de la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke a été victime de harcèlement par une étudiante a déposé une plainte à la police. En effet, entre le mois de septembre 2017 et juin 2019, l’étudiante développe un comportement inapproprié et excessif afin de tenter de retenir l’attention de la chargée de cours. Par exemple, elle porte des pyjamas en classe, elle circule dans l’université en faisant jouer de la musique forte, elle s’assoit trop près d’elle lorsqu’elle prodigue un cours et la fixe, elle se présente à chaque plage horaire d’enseignement de la chargée de cours, et ce, pour tous ses groupes-classe et elle l’aborde excessivement. En plus, la chargée de cours remarque qu’elle la croise souvent : dans les corridors de l’université, sur le chemin vers sa voiture, sur la route vers chez elle, près de sa maison et même à l’aréna dans lequel sa fille prenait des cours de patin. Ainsi, au fur et à mesure que les semaines avançaient, la chargée de cours croisait l’étudiante à toute heure du jour lors de ses déplacements et de ses occupations. L’étudiante s’installait aussi en dessous de l’escalier près des bureaux des chargés de cours pour dormir et elle installait un bureau à quelques pas de la maison de la chargée de cours afin d’y passer du temps. Bref, elle avait une obsession maladive avec la chargée de cours.
L’étudiante a plaidé coupable à une accusation de harcèlement criminel entre le mois de septembre 2017 et de mars 2018. Elle a toutefois obtenu une absolution sous réserve d’une probation de 30 mois. Ainsi, pour la durée de sa probation, l’université lui a interdit d’entrer en contact avec la chargée de cours et sa famille, de fréquenter les deux campus de l’université et de s’inscrire à des activités pédagogiques prodigués par l’Université de Sherbrooke.
À la fin de sa période de probation, l’étudiante demande d’être admise à l’université afin d’y suivre deux cours dans la faculté des lettres et sciences humaines, tout près de celle d’éducation. L’Université de Sherbrooke acquiesce à sa demande en lui imposant certaines restrictions, notamment de s’abstenir d’entrer en contact avec la chargée de cours ou de circuler près de son bureau ou de ses classes et de ne pas chercher à connaitre les déplacements de cette dernière.
La chargée de cours s’oppose formellement à cette réadmission, puisqu’elle juge que cette décision de l’université est déraisonnable et abusive en plus de mettre en péril sa santé psychologique et sa dignité.
Analyse
L’arbitre a déterminé que la décision de l’université de réadmettre l’étudiante et de lui imposer certaines restrictions était raisonnable.
L’université a l’obligation de moyen de fournir un milieu de travail à ses employés exempt de harcèlement psychologique, c’est-à-dire qu’elle doit prendre les moyens raisonnables afin de prévenir les situations de harcèlement et de les corriger une fois alertée de la situation. Pour déterminer les moyens à prendre lorsque les acteurs de la situation de harcèlement sont susceptibles de se côtoyer, l’université doit prendre en compte le contexte et les conséquences du harcèlement sur la victime. Aussi, l’université ne doit pas attendre de recevoir une plainte formelle avant d’agir pour rectifier la situation. C’est ce que l’Université de Sherbrooke a fait en l’espèce : dès qu’elle a été mise au courant de la situation, elle a tenté de trouver des solutions afin de fournir à la chargée de cours un milieu de travail sain.
Par ailleurs, l’université peut gérer ses activités et diriger ses employés comme elle le veut, sous réserve de la convention collective et des obligations que la loi lui impose, notamment la bonne foi. L’université ne doit donc pas abuser de son pouvoir de gestion. En revanche, « l’abus de droit ne s’analyse pas dans la perspective de la meilleure décision possible. L’Employeur peut s’être trompé, tant qu’il ne s’agit pas d’une grossière erreur » (paragraphe 250 de la sentence arbitrale).
En l’espèce, l’université a adopté des mesures provisoires afin d’assurer la sécurité de la chargée de cours peu après sa prise de connaissance de la situation de harcèlement. Aussi, le Comité de direction a instauré des conditions plus sévères que l’ordonnance de probation à l’étudiante, notamment l’interdiction de se trouver sur les lieux de l’université et non simplement de la Faculté d’éducation.
L’université « avait des obligations légales d’accepter l’étudiante dans la mesure où son refus, après avoir complété toutes les mesures de sa probation, aurait été jugé déraisonnable » (paragraphe 195.4 de la sentence arbitrale). Ainsi, lors de la réadmission de l’étudiante, les représentants de l’université ont tenu des rencontres avec la chargée de cours dans le but de répondre à ses interrogations et ses préoccupations afin de regarder avec elle les mesures qui pouvaient être prises pour la sécuriser. Les représentants de l’université a fait des démarches afin d’obtenir l’horaire de l’étudiante, d’obtenir un permis de stationnement plus près de la faculté pour la chargée de cours et de permettre à cette dernière de participer à certaines rencontres à distances. L’étudiante a d’ailleurs encore été rencontrée afin d’obtenir d’autres engagements de sa part.
Ainsi, l’arbitre est arrivé à la conclusion que l’université avait pris en compte la position et les opinions de chargée de cours, puisque « prendre en compte ne signifie pas accepter sa position comme étant la seule possible sans égard à l’ensemble du contexte » (paragraphe 266 de la sentence arbitrale).
Pour terminer, les sanctions appropriées à infliger à un harceleur, qu’il soit employé, étudiant ou acteur externe de l’université, doivent être progressives. Ainsi, le renvoi, le congédiement ou le bannissement n’est pas automatique. L’université doit prendre en compte le contexte afin de déterminer la sanction appropriée, ce qu’elle a fait. Elle a pris toutes les mesures raisonnables afin d’assurer un milieu de travail exempt de harcèlement à sa chargée de cours. L’arbitre a donc jugé que toutes ses obligations avaient été remplies.
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